Le cuir de la déesse de l'onde...
La journée est belle. J'ouvre les yeux difficilement comme si j'étais passé la veille dans une lessiveuse. Un café serré comme je les aime... haaa le doux bruit de la cafetière expresso le matin. L'odeur de l'eau chaude qui traverse le Moka, inoubliable, mythique... presque religieux pour moi. En avalant mon café je regarde mon moulinet Eastfork sur l'étagère. Dans les rayures de son bâtis il me raconte les innombrables péripéties que nous vivons depuis 13 mois ensembles. Toutes ces chutes, ces plongeons acrobatiques, ces combats à la limite de l'imaginaire! L'esprit vacille, un sourire se dessine sur mon visage. D'un coup tout s'éclaire en moi, c'est l'heure d'y aller.
La voiture démarre pleine d'entrain, j'ai toujours cette appréhension avec son radiateur défectueux mais qu'importe "on" va à la pêche. L'air frai glisse sur mes joues, le soleil inonde les champs. Quelle lumière, le bonheur finalement il est vraiment pas loin. Il suffit de savoir le saisir. Je m'engage au fond d'un chemin. Sans hâte, comme une horloge j'enfile mes waders, je monte ma canne. Je prends même le temps de refaire calmement mon bas de ligne avec des nœuds soignés. Le précédent ressemblait plus à un tire bouchon qu'autre chose... Pas de prise de tête, une longueur de bras de 50/100°, un peu plus de 40/100° et pour finir une longue pointe en fluoro carbone de 32/100°. Faut dire que je déteste la finesse et puis je ne suis pas là pour aller casser le nez aux ablettes, je suis là pour autre chose.
Je m'enfonce à travers le champ plein d'espoir. La rivière est toute proche, malgrès la fin de l'été, l'eau est incroyablement claire. Une bande de hotus lézarde en surface, des barbeaux jouent à cache cache entre les blocs. C'est beau... je relève la tête, je sais qui je vais voir! Toujours au même endroit je vois passer à toute vitesse un, puis deux martins pêcheurs qui regagnent la rive d'en face. Le bruit de leur vol et la grâce du vol est un spectacle étonnant pour l'éternel rêveur que je suis. C'est partis je passe en mode traque. La tête se vide pour se concentrer sur une seule chose... trouver une belle en activité pas trop loin de la bordure!
Rapidement je devine une queue qui affleure de la surface... c'est le matin et les carpes s'approchent des bordures pour grappiller tout ce qui tombe des berges : limaces, escargots, écrevisse en balade et j'en passe! Elle est très affairée dans les limons. Vu que les eaux sont basses et claires je soigne mon approche comme un indien. En m'approchant de la carpe mon cœur se serre, j'adore cette désagréable sensation. C'est comme si tout se suspendait, je retiens mon souffle. Je suis maintenant à plat ventre sur la berge, un gros mètre en retrait. La carpe se trouve environ 1.5 m sous moi elle est très occupée à fouiller le sol. Le chiro va frapper... un lancer arbalète "très discret" avec posé en cloche. La mémère ne bouge pas d'un poil, le ploc de la mouche ne l'a pas effrayé. Le chiro se pose sur le limon à 50/60cm du poisson. Là je suis totalement crispé, concentré à l'extrême. Je "grattouille" lentement la mouche, la carpe décolle le nez du fond et s'approche très lentement. J'alterne de tout petits "grattouillements" et des micros pauses... la carpe accélère, bascule au dessus du chiro, plante sa truffe dans le limon et écarte les ouïes et, et... et ......
BAAAAAAMMMMMMMMMMMMMMMMMM ferrage, alors là ça explose comme j'aime dans mes pieds. J'ai été éclaboussé par la carpe lors de son démarrage, c'est dire la violence de sa réaction. Le moulinet chante, chante et chante encore. Elle fonce vers les racines de la berge opposée, je serre rapidement le frein je saute à l'eau et j'incline le scion de la canne sous la surface pour éviter les branches qui plongent dans l'eau sur la rive opposée. De sacrées secousses dans le poignet, de bonnes grosses décharges qui vous secouent comme un arbre pris dans la tempête. Et là le vide se forme, tout se vide dans ma tête pour ne faire qu'un avec cette grosse mémère qui se tortille 25m plus loin. Je crois que c'est grâce à cette capacité de faire le vide que j'arrive à rester aussi calme avec ces si puissants poissons.
Au bout de 4 rush très puissants la carpe se laisse aller vers moi. Quelques gros coups de tête quand elle m'aperçoit et elle glisse dans l'épuisette. Elle est belle... j'ai déjà attrapé des carpe miroirs, mais là c'est ma première cuir! Aucune écaille sur le corps, elle est lisse comme une anguille, elle est superbe. Son oeil me regarde comme un appel à l'aide, une grande détresse... de l'incompréhension peut être? Que pense t'elle de moi à ce moment là? Je suis sur que ces poissons pensent et "comprennent", je l'ai vu dans leurs regards! Vite quelques photos, je vais abréger ton stress ma belle... tout ceci va bientôt être qu'un mauvais souvenir.
Carpe cuir en nymphe à vue (photo : FONTANELLI Julien 2010)
Sur le retour je piquerai dans des conditions assez semblables une petite commune dans les herbiers :
Carpe commune en nymphe à vue, avec un beau chiro planté dans la bouche! (photo : FONTANELLI Julien 2010)
Merci de m'avoir lu et @ bientôt!